Chronique: "Bartleby le scribe", d'Herman Melville

"Je préférerais ne pas” : telle est la réponse, invariable et d’une douceur irrévocable qu’oppose Bartleby, modeste commis aux écritures dans un cabinet de Wall Street, à toute demande qui lui est faite. Cette résistance absolue, incompréhensible pour les autres, le conduira peu à peu à l’isolement le plus total.

     Voici une petite nouvelle, qu'aussitôt terminée je vous la chronique. Non qu'elle soit un coup de cœur, mais quel texte étonnant, déroutant, presque dérangeant par moment... Je vais essayer de pas trop en dire pour celles et ceux qui voudraient se lancer dans cette stupéfiante histoire, mais au vue de la longueur (77 pages) quelques spoils risquent de m’échapper. 

     Bartleby le Scribe se déroule vers 1850 au cœur du monde des affaires, à Wall Street. Nous sommes dans le cabinet d’un avoué, qui est le narrateur. Tout d’abord il va nous décrire les loufoques personnages qu’il emploie tous désignés par un surnom reflétant leur personnalité : Dindon, Lagrinche, Gingembre. Son étude fonctionnant bien, il décide d’embaucher un nouvel employé : un scribe (copiste de pièces juridiques). Mais il n’y a qu’une unique candidature, qu'il va immédiatement accepter. Ainsi apparaît notre Bartleby. Cet étrange personnage va imposer ce qu’il « préfère » faire ou ce qu’il « préfère ne pas » faire dans son travail, pour à la fin ne plus rien faire du tout: allant jusqu’à l’immobilité la plus totale. Entre temps nous découvrons que Bartleby a élu domicile dans l’étude, marquant encore plus profondément son isolement volontaire (cet isolement étant marqué par ce qu'il "préfère" ou ce qu'il "préfère ne pas" faire). Face à cette passivité, nous suivons l’incompréhension, la sollicitude, puis l’énervement de l’avoué, qui, presque chaque paragraphe a l’humeur changeante et se révèle très perturbé par son nouvel employé. L’ensemble de l’étude va commencer à être « contaminée » par ce tic de langage de Bartleby. Ainsi, le narrateur et ses employés vont involontairement commencer à glisser le verbe « préférer » en toute sorte de circonstance. Le mystère qui entoure Bartleby n’est jamais levé tout le long du roman : nous ne savons pas en définitive d’où il vient, ni qui il est.

     Cette nouvelle est déroutante car, si un ton comique marque bien la première moitié de ce texte, plus on avance, plus on se rend compte de la gravité de la situation et que sa fin est immuable et ne peut être que tragique. Je vous avouerai que je ne me serais jamais dirigée vers ce genre de lecture si je n’avais pas trouvé ce livre sur un banc… Cependant, je remercie la personne qui l’a oublié ce jour-là. J’ai aimé découvrir la plume d’Herman Melville, totalement inconnue jusque-là. Et, je dois avouer, que je ne suis pas sortie indemne de ma lecture. Beaucoup de questions se sont bousculées à la fin de ce récit : Qui est ce Bartleby? D'où vient-il? Qu’a-t-il vécu avant de débarquer dans cette étude? Comment peut-on en arriver à ce point de marre de vivre avec une passivité telle? L'hypothèse suggérée par le narrateur, n'est que l'écho d'une rumeur et nous n'en saurons jamais plus sur Bartleby le scribe.... C'est vraiment une lecture que je conseille.

Fiche technique:

  

Titre: Bartleby le scribe

Auteur: Herman Melville

Editeur: Folio

Nombre de pages: 77

Prix: 4,6 €

 

Extrait:

– Bartleby ! vite, j’attends.
J’entendis les pieds de sa chaise grincer lentement sur le plancher nu, et bientôt il apparut à l’entrée de son ermitage. 

– Que désirez-vous ? demanda-t-il suavement.

– Les copies, les copies, dis-je d’un ton pressé. Nous allons les comparer. Tenez… »

 Et je lui tendis le quatrième duplicata. 

 – Je préférerais pas, dit-il, et il disparut doucement derrière le paravent.